Lettre ouverte à Aurélie Filipetti de l’Observatoire de la liberté de création concernant l’exposition d’Ahlam Shibli au Jeu de Paume

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Paris, le 24 juin 2013

Madame la Ministre de la Culture et de la Communication,

L’Observatoire de la liberté de création1 s’adresse à vous au sujet de l’exposition d'Ahlam Shibli présentée actuellement au Jeu de Paume, objet de pressions, et parfois d’attaques violentes qui en menacent le bon déroulement, compromettent la sécurité du personnel du Jeu de Paume et du public. Ces faits menacent la liberté de création que nous défendons.

Votre réaction nous invite à entamer avec vous un dialogue que nous espérons constructif.

Le communiqué que vous avez publié, le 14 juin, pose un préambule que nous partageons, le respect de la liberté attachée à l’expression artistique dont vous affirmez, comme nous, qu’il s’agit d’un principe fondamental.

Nous ne comprenons pas, en revanche, les conséquences que vous tirez de ce principe.

Vous justifiez les réactions, « compréhensibles », dites-vous. Comment, en posant le débat sur le plan de l’expression artistique, pouvez-vous à la fois reprocher à l’artiste sa neutralité et lui demander, ainsi qu’au Centre d’art qui l’expose, de « compléter l'information donnée aux visiteurs » et d’« expliquer le contexte des photographies » ? Considérez-vous que les artistes doivent être objectifs et non pas neutres ?

Il ne s’agit pas ici d’un reportage mais d’œuvres photographiques d’une artiste qui a déclaré : « Je ne suis pas une militante… Mon travail est de montrer, pas de dénoncer ni de juger ». Plutôt qu’une position de neutralité, il nous semble qu’il s’agit ici d’un propos d’artiste, dont il paraît évident que la subjectivité résiste à son désir même de « montrer », comme c’est du reste visible dans la totalité de l’exposition, dont il semble difficile de distraire arbitrairement la série qui provoque la polémique.

Face aux violences qui se multiplient, entre alertes à la bombe qui obligent le Jeu de Paume à fermer, menaces de mort et mails d’injures qui pleuvent sur le personnel du Centre d’art et sa directrice, nous vous demandons, Madame la Ministre, de faire face à l’urgence et de maintenir l’ordre républicain. Celui qui permet à chacun de voir et de se faire sa propre opinion. Celui qui invite à voir, juger, critiquer, contre ceux qui tentent, par tous les moyens de pressions possibles, de faire fermer cette exposition. Et de suivre en cela les préconisations de la rapporteure spéciale de l’ONU, Farida Shaheed, pakistanaise, qui a affirmé dans sont rapport sur la liberté artistique, en date du 14 mars 2013, qu’il appartient aux pouvoirs publics d’assurer la protection des artistes et de tous ceux qui participent à des activités artistiques contre la violence des tiers, de calmer les tensions qui surviennent, de maintenir la puissance des lois et protéger la liberté artistique.

Inviter au débat quand les œuvres choquent, c’est le rôle de l’Observatoire que nous nous honorons, Madame la Ministre, de remplir ici comme nous l’avons souvent fait, en co-organisant avec le Jeu de Paume, un débat qui aura lieu, mercredi 26 juin, à l’Ecole nationale des Beaux-arts.

Nous serions heureux de vous rencontrer pour évoquer avec vous ces sujets qui concernent tous les domaines de la création. Les récentes polémiques, les attitudes de plus en plus violentes envers les œuvres montrent l’actualité de ces confusions qui constituent une menace réelle contre la liberté de création. Et nous souhaitons, comme vous le savez, que la loi et les dispositifs règlementaires soient revus dans le sens d’un progrès de la liberté.

Dans l’attente de cette rencontre, nous vous demandons d’assurer la sécurité des spectateurs et des personnels du Jeu de Paume et de faire en sorte que cette exposition ait lieu jusqu’à son terme, dans la sérénité. C’est au public de la juger.

Veuillez croire, Madame la Ministre, en l’expression de notre considération distinguée

 

Agnès Tricoire

Déléguée de l’Observatoire de la liberté de création