Le SFA répond à l'article de Libération, « La VF à quitte ou double »

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Le 10 juillet, le journal Libération a publié un article par Nicolas Picquet intitulé « La VF à quitte ou double », faisant l'apologie des positions du nouveau syndicat CFTC qui souhaite baisser les salaires et diminuer l’emploi des artistes-interprètes dans le doublage. Un droit de réponse a été demandée au journal, mais sans attendre la décision de sa rédaction, le groupe du travail doublage du SFA souhaite d'ores et déjà apporter les précisions suivantes.

Suite à la double page parue dans Libération daté du 10 juillet, intitulée «  La VF à quitte ou double », par Nicolas Picquet, nous exerçons notre droit de réponse.

Il nous semble important d’attirer l’attention sur un certain nombre de points de vue défendus par cet article qui donnent une vision erronée de notre métier et du secteur du doublage.

Tout d’abord, ce ne sont pas « Les Syndicats d’Acteurs » qui s’inquiètent de l’avenir de ce secteur d’activité. En revanche, ce qui est vrai, c’est qu’un seul et unique soi-disant syndicat d’acteurs du doublage (SAA-CFTC), créé pour l’occasion il y a tout juste un an, vient de remettre en cause des négociations salariales qui étaient sur le point d’aboutir en février 2012 entre les syndicats et la FICAM (Chambre syndicale des employeurs). Il est donc difficile de ne pas penser que ce syndicat minoritaire, peu représentatif de la profession, soit piloté par certaines entreprises de doublage qui souvent ne respectent pas la loi, en pratiquant des tarifs en dessous de ceux de la grille des salaires de notre convention collective, toujours en vigueur et étendue.

 

Contre-vérités, mensonges et désinformation

La grève de 94 :

 

Sachez que cette grève ne dénonçait pas la délocalisation, mais le non paiement des droits voisins sur la diffusion des œuvres doublées accordés par la loi Lang de 1985. C’est peut être parce que certains dirigeants du SAA-CFTC, principale source de cet article, avaient refusé de participer à cette grève (il est amusant de noter qu’aujourd’hui ils perçoivent ces droits sans état d’âme), que cette erreur s'y est glissée. Rappelons au passage que ce ne fut pas la première fois que notre métier dut faire face à des problèmes, que ce soit pour la renégociation de la convention collective (grève de trois mois en 1976), ou pour faire respecter des accords existants (grève ciblée en 1987 contre certaines chaînes de télévision pour empêcher la remise en cause du quota accordé au doublage québécois). Chaque fois nous avons obtenu gain de cause.

 

La délocalisation :

 

Rien n’empêche une société de doublage d’ouvrir des succursales dans les pays de l’Union Européenne, ce qu’ont fait plusieurs sociétés basées en France. Mais faut-il pour autant baisser les salaires des comédiens français, pour s’aligner sur ceux pratiqués en Belgique ? La réponse est clairement : non. Les problèmes de délocalisation ne concernent pas que le doublage et quel que soit le secteur touché, nous ne pensons pas que la réponse ultra-libérale, consistant à niveler les salaires par le bas, soit une bonne solution. Nous nous étonnons que Libération donne l’impression par cet article de soutenir ce type de politique.

Pour notre secteur, la solution se trouve, nous en sommes persuadés, dans la solidarité et le respect de l’éthique et de la loi, défendus par la grande majorité des artistes interprètes, des syndicats et des sociétés de doublage. D’ailleurs, de l’aveu même du directeur de Libra Films, Mr Patrick Couty « une baisse de 30% (proposition du SAA) n’est même pas suffisante, il faudrait 40 ou 45%».

Non, ce n’est pas la délocalisation qui est le plus grand danger pour notre secteur d’activité, mais bien les pratiques de certaines sociétés de doublage peu scrupuleuses qui n’hésitent pas à se mettre hors la loi en cassant les prix pour remporter des marchés.

Par ailleurs, il est faux de dire que la série emblématique « Desperate Housewives » est conçue en deux temps. Les rôles principaux et les rôles secondaires  sont enregistrés en France. Les cas de scission d’enregistrements moitié en France, moitié en Belgique sont rares et s’appliquent généralement à des coproductions.

 

"Le salaire des comédiens représentent 60% du coût d'un doublage" :

 

Le socle du doublage c’est d’abord le comédien. C’est sa voix qui est enregistrée, diffusée et rediffusée sur de multiples supports pendant des années. Et mathématiquement pour doubler un film, il faut autant d’acteurs qu’il y a de rôles dans ce film, alors qu’il ne faut qu’un adaptateur, qu’un ingénieur du son, qu’un monteur, qu’un mixeur et qu’un patron de société…D’où les 60%...

 

Le salaire minimum journalier de 104,28 euros :

 

La base de notre convention est l’équité : débutant ou confirmé, les comédiens sont rémunérés selon le nombre de lignes effectuées. Plus le nombre de lignes enregistrées augmente, plus la rémunération est conséquente. Mais le fait est qu’une voix trop entendue est pénalisée en étant ensuite moins employée, que, malgré des salaires journaliers qui peuvent paraître élevés, les comédiens ne travaillent pas tous les jours, et que le nombre d’artistes dans le secteur du doublage a triplé en 20 ans ; beaucoup ont du mal à vivre de leur métier.

D’autre part il est caricatural de dire que certains accaparent les « gros » produits pendant que d’autres se battent pour obtenir des rôles. Dans les faits, ce sont les mêmes artistes-interprètes. Certains sont davantage sollicités que d’autres, généralement en raison de leur emploi vocal, de leur habileté technique, de leur talent. Chacun peut avoir des hauts et des bas, des périodes de creux ou d’activité intense. Lorsqu’on choisit le métier de comédien, c’est une chose que l’on sait.

 

La grille unique :

 

Avec la convention de 1994, l’annexe salaire comportait deux barèmes pour la télévision : hertzien-analogique et câble. Lors d’une réunion intersyndicale (19 septembre 2011), il a été décidé démocratiquement et à une large majorité de fusionner ces deux barèmes. Ceci pour plusieurs raisons.

Premièrement pour mettre les textes en accord avec la réalité des faits : il n’y plus de chaînes analogiques, l’offre TNT s’est élargie à 19 chaînes et il y a une explosion du nombre de canaux de diffusion télévision et Internet.

Deuxièmement, il est apparu clairement que les petites chaînes étaient pour la plupart des émanations des plus grosses et avaient largement de quoi financer le doublage des séries qu’elles diffusent en exclusivité.

Troisièmement, il ne faut pas oublier que ces séries (quelles qu’elles soient : dessins animés, soap, sitcom…) servent aussi à vendre des espaces publicitaires qui rapportent des sommes que nous nous garderons bien de qualifier d’indécentes. Les sommes générées par les rentrées publicitaires, 4,7 milliards pour la télé en 2011, en progression par rapport à 2010, selon l’UDA (Union des Annonceurs), plus la redistribution des abonnements à certains bouquet de programmes devraient largement subvenir aux besoins des chaînes sans avoir à recourir à la baisse de nos salaires.

 

En conclusion, le danger aujourd’hui ne vient pas de la Belgique, des films et séries y sont doublés intégralement par d’excellents artistes-interprètes belges et ce en toute légalité depuis des années. Nous n’avons pas peur de ces comédiens-là et les préférons de très loin à ceux qui enregistrent ici en acceptant des forfaits illégaux, proposés par des sociétés malhonnêtes sur le territoire français.

Ce sont ces pratiques hors la loi et les tentatives de division instillées par le SAA qui sont dangereuses.

Chaque fois qu’il y a eu des manœuvres visant à nous diviser, elles n’ont finalement réussi qu’à nous souder davantage et à nous rendre plus forts.

C’est en luttant pour maintenir un doublage français de grande qualité, source d’emploi pour de nombreux intervenants dans un secteur en expansion, que nous parviendrons à défendre et sauvegarder notre métier.