Le théâtre en Palestine

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Article paru dans Plateaux n°206 - 3ème trimestre 2011



Depuis les années 70, les territoires palestiniens ont vu émerger un important mouvement d’expression artistique en plus du mouvement populaire de résistance contre l’occupation israélienne. En plusieurs endroits, des jeunes palestiniens se sont réunis pour affirmer leur refus de l’oppression et de l’occupation, par le biais de la création théâtrale. Le groupe Al Hakawati par exemple, est né de la volonté d’un groupe de jeunes de faire du théâtre malgré la surveillance des autorités israéliennes d’occupation. Ces jeunes considéraient qu’ils avaient leur mot à dire au sujet de leur situation et quelque chose à communiquer à leur public, lequel venait de tous les coins de la Cisjordanie et de Gaza pour partager avec les acteurs lors des représentations théâtrales.

Cependant, la production théâtrale a été durement touchée par les deux « Intifada » de 1987 et 2000. De plus, l’art en général n’est pas une priorité en Palestine, tandis que les réunions publiques sont interdites et très mal vues par les forces d’occupation israéliennes. Les textes des pièces de théâtre continuent d’être contrôlés par un comité nommé par les autorités militaires. Cette situation a motivé l’apparition d’un nouveau style d’écriture, qui introduit notamment des chansons moins compréhensibles pour les comités de censures, ou encore des jeux de mots. Il arrive même que les acteurs changent leur texte au dernier moment, lors de la représentation.
Les acteurs et les spectateurs ont les mêmes objectifs : résister contre l’occupation, faire connaitre au monde les pratiques inacceptables utilisées à l’encontre du peuple palestinien, et confirmer l’identité nationale palestinienne ainsi que le droit inaliénable des Palestiniens de vivre librement sur leur terre. Autrement dit, le théâtre palestinien diffuse la revendication d’un projet national palestinien.

Après les accords d’Oslo, le tout nouveau gouvernement palestinien a créé des ministères, dont le ministère de la culture, afin de montrer que le peuple palestinien est bien vivant et que, tout en revendiquant ses droits d’Etat indépendant, ce peuple est aussi source de création artistique. Ce ministère de la culture représente la part strictement officielle, permettant d’allouer de très légères subventions aux institutions culturelles, qui ne suffisent cependant pas à les faire vivre.

Les conditions de vie sous l’occupation impliquent une situation d’oppression et de cloisonnement permanente qui pèse lourdement sur la totalité de la population palestinienne, et notamment les jeunes.

Malgré ces conditions difficiles, la première école de formation d’acteurs et de cinéma a été créée en 2006 dans le camp de réfugiés de Jénine, au nord de la Cisjordanie, camp qui fut totalement détruit en 2002 par une opération militaire israélienne (lire La belle résistance).

Une deuxième école de formation théâtrale, qui fonctionne en partenariat avec l’institut allemand des études théâtrales Folkwang Hoch-Shule, a vu le jour en 2009 à Ramallah. Cette école propose une formation en trois ans reconnue par le ministère de l’éducation. Ce projet a pour but de restaurer un secteur culturel gravement endommagé par la longue période d’occupation, en formant des comédiens et des spécialistes du théâtre destinés à dessiner le futur visage de la création théâtrale, et plus généralement, de la création artistique. Cette école répond aussi à la demande personnelle de jeunes palestiniens qui souhaitent devenir comédiens ou professionnels du théâtre.


Si les jeunes palestiniens peuvent participer à une activité théâtrale périscolaire, il est rare que les parents subventionnent des études artistiques, et notamment une formation au métier d’acteur. Ces jeunes doivent donc assumer leur choix, et très souvent assurer un travail en plus de leur emploi du temps scolaire afin de financer leurs études.
Pour l’année 2011/2010, on compte 16 étudiants inscrits à l’école de théâtre de Ramallah, et 12 à l’école du Théâtre de la Liberté de Jénine. On peut également signaler l’ouverture d’une école de formation de comédiens à Dar El Kalemah, à Bethléem, qui compte 12 inscrits pour la rentrée 2011.

La mixité qu’implique la formation des acteurs, les répétitions dans des petites salles mal éclairées, les déplacements difficiles entre les villes palestiniennes, voire parfois à l’étranger pour les représentations, sont autant de conditions peu favorables à un apprentissage théâtral en Palestine.
 
Malgré tout cela, la volonté des professionnels du théâtre de maintenir et de développer l’activité théâtrale en Palestine reste intacte. Ces personnes croient beaucoup à l’impact de cet art au niveau politique, social et éducatif, et cela se ressent par l’augmentation du nombre de salles de spectacle, ainsi que des formations et des ateliers théâtraux.

Actuellement, la liste officielle du ministère de la culture compte 18 théâtres plus ou moins bien équipés. On peut aussi compter quatre autres salles de théâtre comme celui du Palais de la Culture à Ramallah, ou encore Dar El Nadwa Adwaliah à Bethléem. D’autres sont en construction, comme celle de Sabrah, à Ramallah, conçue pour accueillir 850 spectateurs.

La création de nouvelles pièces de théâtre va permettre de dépasser les frontières et de promouvoir la culture palestinienne dans le monde arabe et occidental, en présentant des œuvres au nom de la Palestine.
Un nombre significatif de pièces ont été écrites en binôme par des Palestiniens et des partenaires allemands, français, anglais, etc. On peut ainsi citer Al Nakbah jouée par la troupe du théâtre Al Harah de Bethléem, Pinokio fi El Azerieh montée avec des acteurs japonais, ou encore Le collier de perles perdu jouée avec une comédienne française.

Plus il y aura de professionnels palestiniens du théâtre, plus il leur sera possible de communiquer sur leur société au reste du monde. Peuvent-ils réussir là où la politique internationale a échoué : la reconnaissance des droits à une terre indépendante, à une stabilité politique et à une ouverture sur le monde ?

Rima GHRAYEB